Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils les ramassent avec respect : ce serait, selon eux, une grossièreté, et une impolitesse d’en faire un usage profane, de les fouler aux pieds en marchant, ou de les jeter même avec indifférence. Souvent il arrive que les menuisiers et les maçons n’osent pas déchirer une feuille imprimée, qui se trouve collée sur le mur ou sur le bois. Ils craignent de faire une faute.

Ainsi on peut distinguer trois sortes de langage chez les Chinois : celui du peuple, celui des honnêtes gens, et celui des livres. Bien que le premier ne soit pas si peigné que les deux autres, il ne faut pas croire qu’il soit si fort au-dessous de nos langues d’Europe, puisqu’il n’a certainement aucun des défauts qu’on lui a quelquefois prêtés en Europe. Les Européens qui viennent à la Chine et qui ne sont pas encore versés dans la langue, trouvent des équivoques, où il n’y en pas seulement l’ombre. Comme ils ne se sont point gênés d’abord à bien prononcer les mots chinois avec leurs aspirations et leurs accents, il arrive qu’ils n’entendent qu’à demi ce que disent les Chinois, et qu’ils ont de la peine à se faire entendre. C’est une faute dans eux, et non pas un défaut de la langue. On trouve dans quelques mémoires, que les lettrés tracent souvent avec le doigt ou avec l’éventail, des lettres sur leurs genoux, ou en l’air : s’ils le font, c’est par vanité ou par coutume, plutôt que par nécessité ; ou parce que ce sera un terme et un caractère peu usité, comme nos termes de marine, de musique, de chirurgie, etc.

Au-dessus de ce langage bas et grossier, qui, quant à la prononciation, se varie en cent manières, et dont on se sert pour les livres, il y en a une autre plus poli et plus châtié, qui s’emploie dans une infinité d’histoires vraies ou feintes, d’un goût très fin et très délicat. L’esprit des mœurs, les peintures vives, les caractères, les contrastes, rien n’y manque. Ces petits ouvrages se lisent et s’entendent sans beaucoup de peine : on y trouve partout une netteté, une politesse, qui ne cède point aux livres d’Europe les mieux écrits.

Après ces deux manières de s’exprimer, l’une pour le petit peuple, qui a le moins de soin de l’arrangement de ses paroles, et l’autre qui devrait être celle des mandarins et des lettrés, vient le langage des livres qui ne sont point écrits en style familier, et il y a dans ce genre-ci bien des degrés où il faut s’élever, jusqu’à ce qu’on parvienne à la brièveté majestueuse et sublime des Kings.

Ce n’est plus ici une langue qui se parle dans le discours ordinaire, mais seulement qui s’écrit, et qu’on n’entendrait pas aisément sans le secours des lettres qu’on a sous les yeux, et qu’on lit avec plaisir. Car on trouve un style net et coulant : chaque pensée est ordinairement exprimée en quatre ou en six caractères ; on ne sent rien qui choque une oreille délicate, et la variété des accents ménagés avec art rend toujours un son harmonieux et doux.

La différence qui se trouve entre ces livres et les King, consiste dans la matière dont ils parlent, qui n’est ni si auguste ni si haute ; et dans le style