que sont l’âme, les sentiments, les passions, la beauté, les vertus, les vices, les actions des hommes et des animaux, et tant d’autres, qui n’ont ni corps, ni figures. C’est pourquoi insensiblement ils changèrent leur ancienne manière d’écrire : ils composèrent des figures plus simples, et en inventèrent plusieurs autres, pour exprimer les objets qui ne tombent point sous les sens.
Les lettres chinoises ont chacune leur signification.
Mais ces caractères plus modernes ne laissent pas d’être encore de vrais hiéroglyphes : premièrement, parce qu’ils sont composés de lettres simples, qui retiennent la même signification des caractères primitifs. Autrefois, par exemple, ils représentaient ainsi le soleil par un cercle et l’appelaient Gé : ils le représentent maintenant par cette figure qu’ils nomment pareillement Gé. Secondement, parce que l’institution des hommes a attaché à ces figures la même idée, que ces premiers symboles présentaient naturellement, et qu’il n’y a aucune lettre chinoise qui n’ait sa propre signification, et qui ne la conserve, lorsqu’on la joint avec d’autres. Tsai, par exemple, qui veut dire, malheur, calamité, est composé de la lettre mien, qui signifie maison, et de la lettre ho, qui signifie feu ; parce que le plus grand malheur, est de voir sa maison en feu. On peut juger par ce seul exemple, que les caractères chinois n’étant pas des lettres simples, comme les nôtres, qui séparément ne signifient rien, et n’ont de sens que quand elles sont jointes ensemble, ce sont autant de hiéroglyphes qui forment des images, et qui expriment les pensées.
Du style des Chinois
Le style des Chinois dans leurs compositions, est mystérieux, concis, allégorique, et quelquefois obscur à l’égard de ceux qui n’ont pas une parfaite connaissance des caractères. Il faut être habile, pour ne pas se méprendre dans la lecture d’un ouvrage : ils disent beaucoup de choses en peu de paroles : leurs expressions sont vives, animées, et semées de comparaisons hardies, et de métaphores nobles. S’ils veulent marquer par exemple, qu’on ne doit point songer à détruire la religion chrétienne, que l’empereur a approuvée par un édit : ils diront : l’encre qui a écrit l’édit de l’empereur en faveur de la religion chrétienne, n’est pas encore sèche, et vous entreprenez de la détruire.
Surtout ils affectent de mêler dans leurs écrits beaucoup de sentences et de passages, qu’ils tirent des cinq livres canoniques ; et comme ils comparent leurs compositions à un tableau, ils comparent de même les sentences qu’ils tirent de leurs livres, aux cinq principales couleurs qui entrent dans la peinture. C’est en cela principalement que consiste leur éloquence. Du reste ils se piquent tous d’écrire proprement, et de peindre exactement leurs caractères ; et c’est à quoi l’on a de grands égards, lorsqu’on examine les compositions de ceux qui aspirent aux degrés.
Ils préfèrent même un beau caractère à la plus admirable peinture, et l’on en voit souvent qui achètent bien cher une page de vieux caractères, quand ils sont bien formés. Ils honorent leurs caractères jusque dans les livres les plus ordinaires : et si par hasard quelques feuilles étaient tombées,