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les morts. L’empereur pour récompenser ou leur mérite personnel, ou celui de leurs descendants, leur donnent des titres d’honneur, qui rejaillissent sur toute leur famille.

Ce pouvoir attaché à la dignité impériale, tout absolu qu’il est, trouve un frein qui le modère, dans les mêmes lois qui l’ont établi. C’est un principe qui est né avec la monarchie, que l’État est une grande famille, qu’un prince doit être à l’égard de ses sujets, ce qu’un père de famille est à l’égard de ses enfants, qu’il doit les gouverner avec la même bonté et la même affection ; cette idée est gravée naturellement dans l’esprit de tous les Chinois. Ils ne jugent du mérite du prince et de ses talents, que par cette affection paternelle envers les peuples, et par le soin qu’il prend de leur en faire sentir les effets, en procurant leur bonheur. C’est pourquoi il doit être, selon la manière dont ils s’expriment, le père et la mère du peuple : il ne doit se faire craindre, qu’à proportion qu’il se fait aimer par sa bonté et par ses vertus : ce sont de ces traits qu’ils peignent leurs grands empereurs, et leurs livres sont tous remplis de cette maxime.

Ainsi selon l’idée générale de la nation, un empereur est obligé d’entrer dans le plus grand détail de tout ce qui regarde son peuple ; ce n’est pas pour se divertir qu’il est placé dans ce rang suprême : il faut qu’il mette son divertissement à remplir les devoirs d’empereur, et à faire en sorte par son application, par sa vigilance, par sa tendresse pour ses sujets, qu’on puisse dire de lui avec vérité, qu’il est le père et la mère du peuple. Si sa conduite n’est pas conforme à cette idée, il tombe dans un souverain mépris. Pourquoi, disent les Chinois, le Tien[1] l’a-t-il mis sur le trône ? n’est-ce pas pour nous servir de père et de mère ?

C’est aussi à se conserver cette réputation, qu’un empereur de la Chine s’étudie continuellement : si quelque province est affligée de calamités, il s’enferme dans son palais, il jeûne, il s’interdit tout plaisir, il porte des édits par lesquels il l’exempte du tribut ordinaire, et lui procure des secours abondants ; et dans les édits il affecte de faire connaître jusqu’à quel point il est touché des misères de son peuple : je le porte dans mon cœur, dit-il, je gémis nuit et jour sur ses malheurs, je pense sans cesse aux moyens de le rendre heureux. Enfin il se sert d’une infinité d’expressions semblables, pour donner des preuves à ses sujets de la tendre affection qu’il a pour eux.

L’empereur régnant a porté son zèle pour le peuple, jusqu’à ordonner dans tout l’empire, que si quelque endroit était menacé de calamités, on l’en informât sur-le-champ par un courrier extraordinaire, parce qu’il se croit responsable des malheurs de l’empire, et qu’il veut par sa conduite prendre des mesures pour apaiser la colère du Tien.

Un autre frein que les lois ont mis à l’autorité souveraine, pour contenir un prince, qui serait tenté d’abuser de son pouvoir, c’est la liberté qu’elle donne aux mandarins de représenter à l’empereur dans de très humbles et de très respectueuses requêtes, les fautes qu’il ferait dans l’administration de son État, et qui pourraient renverser le bon ordre

  1. Le Ciel.