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quantité de ces familles, qui n’ont pour tout fond que cinquante sols ou un écu, et cependant le père et la mère avec deux ou trois enfants vivent de leur petit négoce, se donnent des habits de soie aux jours de cérémonie, et amassent en peu d’années de quoi faire un commerce bien plus considérable.

C’est ce qu’on a peine à comprendre, et pourtant ce qui arrive tous les jours. Un de ces petits marchands, par exemple, qui se voit cinquante sols, achète du sucre, de la farine et du riz : il en fait de petits gâteaux, qu’il fait cuire une ou deux heures avant le jour, pour allumer, comme ils parlent, le cœur des voyageurs. A peine sa boutique est-elle ouverte, que toute sa marchandise lui est enlevée par les villageois, qui dès le matin viennent en foule dans chaque ville, par les ouvriers, par les portefaix, par les plaideurs, et les enfants du quartier. Ce petit négoce lui produit au bout de quelques heures vingt sols au-delà de la somme principale, dont la moitié suffit pour l’entretien de sa petite famille.

En un mot les foires les plus fréquentées, ne sont qu’une faible image de cette foule incroyable de peuples, qu’on voit dans la plupart des villes, occupés à vendre, ou à acheter toutes sortes de marchandises. Ce qui serait à souhaiter dans les marchands chinois, ce serait un peu plus de bonne foi dans leur négoce, surtout lorsqu’ils ont à traiter avec les étrangers. Ils tâchent toujours de vendre le plus cher qu’ils peuvent, et souvent ils ne se font nul scrupule de falsifier leurs marchandises.

Leur maxime est que celui qui achète, donne le moins qu’il lui est possible, et même ne donnerait rien, si l’on y consentait ; et posé ce principe, ils croient être en droit de leur côté d’exiger les plus grosses sommes, et de les recevoir, si celui qui achète, est assez simple, ou assez peu intelligent pour les donner. Ce n’est pas le marchand qui trompe, disent-ils, c’est celui qui achète qui se trompe lui-même. L’on ne fait nulle violence à l’acheteur, et le gain que retire le marchand, est le fruit de son industrie. Cependant ceux des Chinois qui se conduisent par ces détestables principes, sont les premiers à louer la bonne foi et le désintéressement dans les autres : en quoi ils se condamnent eux-mêmes.


Du commerce au-dehors.

Le commerce étant aussi abondant, que je viens de le dire, dans toutes les provinces de la Chine, il n’est pas surprenant que ses habitants se mettent si peu en peine de commercer au dehors, surtout quand on fait attention au mépris naturel qu’ils ont pour toutes les nations étrangères. Aussi dans leurs voyages sur mer, ne passent-ils jamais le détroit de la Sonde. Leurs plus grandes navigations ne s’étendent du côté de Malaque que jusqu’à Achen ; du côté du détroit de la Sonde, que jusqu’à Batavia qui appartient aux Hollandais, et du côté du nord que jusqu’au Japon. Je vais donc expliquer le plus brièvement qu’il me sera possible, quels sont les endroits sur ces mers où ils vont faire leur commerce, de quelle est la nature des marchandises qu’ils y portent, ou qu’ils en rapportent.

I. Le Japon est un des royaumes qu’ils fréquentent le plus. Ordinairement ils mettent à la voile dans le mois de juin ou de juillet au plus tard.