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ainsi que font les Tartares ; et je m’en trouvais si bien, que je préférais sans difficulté cette feuille à celle du meilleur thé : la couleur en est aussi agréable, et quand on en a pris deux ou trois fois, on lui trouve une odeur et un goût qui font plaisir.

Pour ce qui est de la racine, il faut la faire bouillir un peu plus que le thé, afin de donner le temps aux esprits de sortir : c’est la pratique des Chinois quand ils en donnent aux malades, et alors ils ne passent guère la cinquième partie d’une once de racine sèche. A l’égard de ceux qui sont en santé, et qui n’en usent que par précaution ou pour quelque légère incommodité, je ne voudrais pas que d’une once, ils en fissent moins de dix prises, et je ne leur conseillerais pas d’en prendre tous les jours.

Voici de quelle manière on la prépare : on coupe la racine en petites tranches, qu’on met dans un pot de terre bien vernissé où l’on a versé un demi setier d’eau. Il faut avoir soin que le pot soit bien fermé : on fait cuire le tout à petit feu, et quand de l’eau qu’on y a mis, il ne reste que la valeur d’un gobelet, il faut la boire sur-le-champ. On remet ensuite autant d’eau sur le marc, on le fait cuire de la même manière, pour achever de tirer tout le suc, et ce qui reste des parties spiritueuses de la racine. Ces deux doses se prennent, l’une matin, et l’autre le soir.

A l’égard des lieux où croît cette racine, on peut dire en général, que c’est entre le trente-neuvième et le quarante-septième degré de latitude boréale, et entre le dixième et le vingtième degré de longitude orientale en comptant depuis le méridien de Peking. Là se découvre une longue suite de montagnes, que d’épaisses forêts, dont elles sont couvertes et environnées, rendent comme impénétrables.

C’est sur le penchant de ces montagnes, et dans ces forêts épaisses, sur le bord des ravines, ou autour des rochers, au pied des arbres et au milieu de toutes sortes d’herbes, que se trouve la plante de gin seng. On ne la trouve point dans les plaines, dans les vallées, dans les marécages, dans le fond des ravines, ni dans les lieux trop découverts.

Si le feu prend à la forêt, et la consume, cette plante n’y reparaît que trois ou quatre ans après l’incendie, ce qui prouve qu’elle est ennemie de la chaleur ; aussi se cache-t-elle du soleil le plus qu’elle peut. Tout cela ferait croire que s’il s’en trouve en quelque autre pays du monde, ce doit être principalement en Canada, dont les forêts et les montagnes, au rapport de ceux qui y ont demeuré, ressemblent assez à celles-ci.

Les endroits où croît le gin seng, sont tout à fait séparés de la province de Quan tong, appelée Leao tong dans nos anciennes cartes, par une barrière de pieux de bois qui renferme toute cette province, et aux environs de laquelle des gardes rodent continuellement, pour empêcher les Chinois d’en sortir, et d’aller chercher cette racine.

Cependant quelque vigilance qu’on y apporte, l’avidité du gain inspire aux Chinois le secret de se glisser dans ces déserts, quelquefois jusqu’au nombre de deux ou trois mille, au risque de perdre leur liberté et le fruit de leurs peines, s’ils sont surpris en sortant de la province, ou en y rentrant.