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Comme j’étais nouveau pour ces sortes de cérémonies, et que je savais peu la langue, je craignis, faute d’expérience, qu’il n’y eût dans les comédies chinoises, quelque chose capable de choquer les oreilles chrétiennes ; c’est pourquoi je fis entendre à Tong lao ye notre conducteur, que la comédie n’était pas un divertissement convenable à des gens de notre profession. Sur quoi le tsong tou et les autres mandarins, eurent la complaisance de se priver de ce divertissement, d’ailleurs assez innocent parmi eux, comme je l’ai appris dans la suite. Ils se contentèrent de la symphonie de diverses sortes d’instruments, qui jouant régulièrement et tous ensemble par intervalle, réglèrent le temps de chaque service.

Pendant tout le festin, toutes les paroles et les mouvements, tant des conviés que de ceux qui servaient, furent tellement compassés, que sans le sérieux et la gravité de ceux qui y firent personnage, un Européen en le voyant pour la première fois, eût pu dire que c’était plutôt une comédie qu’un festin. Nous autres Européens nous avions bien de la peine à nous empêcher de rire.


Des services de ce festin.

Ce festin fut partagé comme en plusieurs scènes ou différents services, tous distingués par la symphonie. Les préludes du festin furent deux petites coupes de vin consécutives, environ d’une bonne cuillerée chacune, que deux maîtres de cérémonie nous invitèrent à boire de la part du tsong tou. Ils étaient à genoux et au milieu de la salle, disant fort gravement et à haute voix : Ta lao ye tsing tsiou : c’est-à-dire, Monseigneur vous invite à boire : après que chacun eût bu une partie de sa tasse, il cria une seconde fois tsing tchao can, c’est-à-dire, videz, s’il vous plaît, jusqu’à la dernière goutte.

Cette cérémonie s’observe et se réitère durant tout le festin, non seulement à chaque fois qu’il est question de boire, mais encore autant de fois qu’on sert des plats sur la table, ou que l’on touche à quelque mets nouveau.

Dès qu’on a posé un nouveau plat sur la table, les deux maîtres de cérémonie se mettant à genoux, invitent à prendre le quai tsëe, ou les petits bâtons[1], et à goûter les mets nouvellement servis. Le tsong tou les invite en même temps par signes, et tous les conviés obéissent.

Les mets principaux du festin consistaient en ragoûts de viandes hachées et bouillies avec diverses sortes d’herbes ou de légumes, et servies avec le bouillon qui se met dans des vases de porcelaines fines, presque aussi profondes que larges.

On servit sur chaque table vingt de ces sortes de plats, tous de même forme et de même grandeur. Ceux qui les servaient allaient les prendre au bas de la salle, ou autant de valets de cuisine qu’il y avait de tables et de conviés, les apportaient un à un sur des bandèges vernissés, et les présentaient à genoux.

Les domestiques qui les recevaient, avant que de les porter sur la table, rangeaient quatre à quatre sur diverses lignes les premiers auxquels on avait

  1. Voyez ci-devant la note de la page 135.