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ignoré : ils ne se sont un peu désabusés, que depuis que les Européens sont entrés dans leur empire. Au commencement qu’ils les virent, ils leur demandaient s’il y avait des villes, des villages, et des maisons en Europe.

Nos missionnaires ont eu souvent le plaisir d’être témoins de leur surprise, et de leur embarras à la vue d’une mappemonde. Quelques lettrés prièrent un jour l’un d’eux[1] de leur en faire voir une : ils y cherchèrent longtemps la Chine : enfin ils prirent pour leur pays, un des deux hémisphères, qui contient l’Europe, l’Afrique, et l’Asie. L’Amérique leur paraissait trop grande pour le reste de l’univers. Le Père les laissa quelque temps dans l’erreur, jusqu’à ce qu’enfin il y en eut un qui lui demanda l’explication des lettres et des noms qui étaient sur la carte. Vous voyez l’Europe, lui dit le Père, l’Afrique, et l’Asie. Dans l’Asie voici la Perse, les Indes, la Tartarie. Où est donc la Chine ? s’écrièrent-ils. C’est dans ce petit coin de terre, répondit le Père, et en voici les limites. Saisis d’étonnement, ils se regardaient les uns les autres, et se disaient ces mots chinois : siao te kin, c’est-à-dire, elle est bien petite.

Quelque éloignés qu’ils soient d’atteindre à la perfection où l’on a porté les arts et les sciences en Europe, on ne gagnera jamais sur eux de rien faire à la manière européenne : on eut de la peine à obliger les architectes chinois à bâtir l’église, qui est dans le palais, sur le modèle venu d’Europe. Leurs vaisseaux sont assez mal construits : ils admirent la bâtisse de ceux d’Europe : quand on les exhorte à l’imiter, ils sont surpris qu’on leur en fasse même la proposition : c’est la construction de la Chine, répondent-ils ; mais elle ne vaut rien, leur dit-on ; n’importe, dès que c’est celle de l’empire, elle suffit, et ce serait un crime d’y rien changer.

Mais si les ouvriers répondent de la sorte, cela ne vient pas seulement de l’attachement qu’ils ont à leurs usages, mais encore de la crainte où ils sont, qu’en s’écartant de leur méthode, ils ne contentent pas l’Européen qui les emploie ; car les bons ouvriers entreprennent et exécutent aisément tous les modèles qu’on leur propose, dès qu’il y a de l’argent à gagner, et qu’on a la patience de les diriger.

Enfin pour donner le dernier trait qui caractérise les Chinois, il me suffit de dire que, quoiqu’ils soient vicieux, ils aiment naturellement la vertu et ceux qui la pratiquent. La chasteté qu’ils n’observent pas, ils l’admirent dans les autres, et surtout dans les veuves ; et lorsqu’il s’en trouve qui ont vécu dans la continence, ils en conservent le souvenir par des arcs de triomphe, qu’ils élèvent à leur gloire, et ils honorent leur vertu par des inscriptions durables. Il n’est pas de la bienséance pour une honnête femme de se marier après la mort de son mari.

Comme ils sont fins et rusés, ils savent garder les dehors, et ils couvrent leurs vices avec tant d’adresse, qu’ils trouvent le moyen de les dérober à la connaissance du public. Ils portent le plus grand respect à leurs parents, et à ceux qui ont été leurs maîtres : ils détestent toute action, toute parole, et même les gestes, où il paraît de la colère ou de l’émotion ; mais aussi ils savent parfaitement dissimuler leur haine. On ne leur permet

  1. Le Père Chavignac.