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La plupart des Chinois sont tellement attachés à leur intérêt, qu’ils ont de la peine à s’imaginer qu’on puisse rien entreprendre que par des vues intéressées. Ce qu’on leur dit des motifs qui portent les hommes apostoliques à quitter leurs pays, leurs parents, et tout ce qu’ils ont de plus cher au monde, dans la seule vue de glorifier Dieu et de sauver les âmes, les surprend étrangement, et leur paraît presque incroyable. Ils les voient traverser les plus vastes mers avec des dangers et des fatigues immenses ; ils savent que ce n’est ni le besoin qui les attire à la Chine, puisqu’ils y subsistent, sans leur rien demander, et sans attendre d’eux le moindre secours ; ni l’envie d’amasser des richesses, puisqu’ils sont témoins du mépris qu’en font les ouvriers évangéliques ; ils ont recours à des desseins politiques, et quelques-uns sont assez simples, pour se persuader qu’ils viennent tramer des changements dans l’État, et par des intrigues secrètes, se rendre maîtres de l’empire.

Quelque extravagant que soit ce soupçon, il y a eu des gens capables de le concevoir : Yang quang sien ce redoutable ennemi du nom chrétien, qui fit souffrir au père Adam Schal une si cruelle persécution, et qui voulait envelopper tous les missionnaires dans la ruine de ce grand homme, leur imposa ce crime affreux.

Une accusation si déraisonnable trouva créance dans des esprits naturellement défiants et soupçonneux ; et si la main de Dieu par des prodiges inespérés, n’eût déconcerté le projet de cet ennemi du christianisme, c’était fait de la sainte loi, et des prédicateurs qui l’annonçaient. Il y en a cependant et en grand nombre, qui connaissant de plus près les missionnaires, sont si frappés de leur extrême désintéressement, que c’est là un des plus pressants motifs, qui les portent à se faire chrétiens.

L’extrême attachement à la vie est un autre faible de la nation chinoise. Il n’y a guère de peuples qui aiment tant à vivre, quoique pourtant il s’en trouve plusieurs, surtout parmi les personnes du sexe, qui se procurent la mort, ou par colère, ou par désespoir. Mais il semble, à voir ce qui se passe, surtout parmi le pauvre peuple, qu’ils craignent encore plus de manquer de cercueil après leur mort. Il est étonnant de voir jusqu’où va leur prévoyance sur cet article : tel qui n’aura que neuf ou dix pistoles, l’emploiera à se faire construire un cercueil plus de vingt ans avant qu’il en ait besoin, et il le regarde comme le meuble le plus précieux de la maison.

On ne peut nier pourtant que le commun des Chinois, lorsqu’ils sont dangereusement malades, n’attendent la mort assez tranquillement : et il n’est pas nécessaire de prendre beaucoup de précautions pour la leur annoncer.

Pour ne rien omettre du caractère de l’esprit chinois, je dois ajouter qu’il n’y a point de nation plus fière de sa prétendue grandeur, et de la prééminence qu’elle se donne sur tous les autres peuples. Cet orgueil qui est né avec eux, inspire, même à la plus vile populace, un mépris souverain pour toutes les autres nations. Entêtés de leurs pays, de leurs mœurs, de leurs coutumes, et de leurs maximes, ils ne peuvent se persuader qu’il y ait rien de bon hors de la Chine, ni rien de vrai que leurs savants aient