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que n’ayant ni père ni mère, ni feu ni lieu, la nécessité les forçât à s’attacher à eux pour toujours.

Les chefs de ces brigands se défirent peu à peu les uns les autres : il n’en resta que deux, dont l’un portant l’ambition jusqu’au trône, se rendit maître de Peking, et obligea l’empereur à se pendre de désespoir. Les provinces entières furent dépeuplées, et si l’on ajoute à tous ces ravages, la guerre des Tartares qui furent invités à exterminer ces bandits, et la dernière guerre civile, il sera aisé de conclure qu’il n’y a que la Chine qui puisse souffrir de si rudes saignées, sans voir diminuer ses forces.

Le 29 nous fîmes environ trois lieues entre des montagnes également affreuses. Nous passâmes auprès d’une qui s’élève en forme de cône, et au sommet de laquelle est une petite pagode, où l’on monte par un escalier fort étroit et fort raide d’environ deux cents marches.

Peu après s’ouvrit une vaste plaine très bien cultivée, où nous marchâmes le reste de la journée fort incommodés de la poussière, quoique le chemin fût très beau. Nous fîmes ce jour-là neuf lieues. Deux lieues avant que d’arriver au gîte, nous passâmes auprès des murailles d’une petite ville nommée Tchang tsin hien. Il nous fallut passer un pont, bâti devant la porte de la ville, sur une rivière qui alors était à sec.

Ce pont est de neuf arches soutenues par de grosses piles carrées de pierres fort hautes, de sorte que le cintre de l’arche est assez petit : il commence par une grosse culée, et finit par un long talus, soutenu par sept petites arches qu’un gros massif de pierres sépare des autres. Les têtes des poteaux, lesquels soutiennent les panneaux de pierre qui servent d’appui, sont taillées assez grossièrement en figure d’animaux. Le tout est d’une espèce de marbre d’une couleur qui tire sur le noir, mais grossier, et sans être poli : le pavé est fait de grands quartiers de pierres du même marbre.

On trouve beaucoup de ce marbre dans les deux provinces que nous avons traversées, et surtout dans celle de Chan tong où nous sommes. Il est même vraisemblable que les montagnes presque entièrement dépouillées d’arbres que nous avons vues, en sont remplies, puisque dans les endroits où les pluies ont éboulé les terres, il paraît des pierres noirâtres qui ressemblent fort à ce marbre.

Le 30 nous marchâmes pendant dix lieues dans une campagne très unie, bien cultivée, et remplie de gros hameaux qu’on prendrait pour autant de villages : le chemin très sec est poudreux, ce qui incommode fort les voyageurs. On voit dans chaque village plusieurs pagodes : ce sont les seuls édifices qui soient de brique, tous les autres sont de terre de paille : ils ont le faîte et le pignon chargés d’ornements, comme d’oiseaux, de dragons, et de feuillages, et sont couverts de tuiles vernissées de vert et de bleu.

On trouve de temps en temps dans la campagne des tombeaux de terre de figure pyramidale ; il y a d’ordinaire dans ces endroits de petits bosquets de cyprès à feuilles plates forts jolis. Avant midi nous passâmes auprès