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RAVAGE OU LE GARDE-CHASSE DU DIABLE


— Dieu nous protége ! murmura le pauvre homme, puis il s’éloigna, en se signant, de la maison forestière où le châtelain resta seul absorbé dans ses méchantes réflexions.

Au même instant, la porte s’ouvrit d’elle-même en grinçant sur ses gonds rouillés. On entendit au loin, sous la voûte de la forêt, le son terrible d’un cor qui sonnait une fanfare inconnue.... Le sire de Teillé, frissonna malgré lui, et un coup de vent ayant éteint la lampe, Robert le borgne s’écria :

— Qui donc ose chasser dans mes bois à pareille heure ?

Alors une lueur rouge éclaira les murs de la maison, avec un bruit de ferraille pas trop rassurant, et une odeur de brûlé qui devait venir d’une cheminée où les damnés font de la suie, comme disait le vieux Florange, qui était un maître pour en conter… et Robert le borgne, dont le petit œil flambait, vit entrer un grand chasseur, aussi long et aussi maigre que lui, et si décharné que ses os jouaient de la crécelle en remuant ; et puis il avait un bonnet rouge fumant et un pourpoint noir percé à jour, si bien qu’on voyait, par les trous, sa chair rouge comme braise. De larges guêtres de peau de sanglier cachaient ses pieds énormes. Il portait sur l’épaule une carabine de quatre aunes de long et un cor dont le pavillon ressemblait à la gueule ouverte d’un dragon. Ah ! c’était un crâne chasseur, et bien d’autres auraient filé ou renoncé à l’aventure en demandant grâce ; mais Robert le borgne était un fier luron, et, dès qu’il eut aperçu la figure écarlate