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LA FOLLE DE SUCINIO


m’aidait parfois à lutter contre la pluie et l’ouragan. Il était près de trois heures, quand nous arrivâmes à la pointe, où quelques pêcheurs nous avaient précédés. À mon arrivée, ils firent silence et, lorsqu’après avoir jeté les yeux sur la mer, je m’écriai : — C’est le Saint-Gildas, je le reconnais ! Est-il en perdition ? Répondez-moi, pour l’amour de Dieu ! — Personne n’osa mentir pour me rassurer.

Que vous dire, monsieur, pour achever ce tableau de ma douleur ? Pendant deux heures, j’assistai à la lutte du Saint-Gildas contre une mer affreuse, tantôt l’apercevant, tantôt le croyant englouti, puis le voyant se relever, sans voiles, sans mâts… Deux fois les matelots, excités par mes cris, avaient mis à flot des embarcations ; les lames les avaient brisées. Il ne restait plus d’espoir… Ô Seigneur, quelle épreuve ! Vous ne voulûtes pas me la faire subir tout entière. Un coup de vent me renversa et l’on m’emporta sans connaissance.

Trois jours après, ma petite Janic vint au monde et je demeurai deux semaines entre la vie et la mort. Au bout de ce temps, je connus toute l’étendue de mes malheurs : le Saint-Gildas avait péri, corps et biens, sauf un seul homme. Jean, sur le point de se sauver à la nage, avait disparu tout à coup auprès des grands rochers de la pointe, et celui qui se sauva fut le second du navire, Claude Mizan.

Hélas ! l’histoire de Claude et de Julie est plus triste encore que la nôtre : ils sont morts tous les deux : lui, soupçonné, méprisé, accablé de remords ; elle, folle !