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FANTÔMES BRETONS


pourrait la séparer encore d’un époux absent et bien-aimé.

Les quatre semaines s’écoulèrent et le Saint-Gildas n’avait été signalé nulle part. J’étais presque folle d’anxiété. Chaque jour je souffrais de plus en plus. Non, tant de peines ne peuvent se comprendre… J’abrège, car la nuit va bientôt venir, et j’arrive au jour fatal.

Je rentrais, bien triste, de l’office du vendredi saint. Le temps était en rapport avec mes sombres pensées. Mon âme brisée était comme pleine de l’agonie du Sauveur. Un voile de deuil couvrait la mer. Le vent pleurait sur la falaise et les vagues grossissaient de minute en minute ; tout annonçait une grande tempête. Je me dirigeais vers la maison de Julie, lorsqu’un matelot, revenant de la pointe, me dit que l’on signalait, par le travers du plateau de la Recherche, un navire qui paraissait déjà s’affaler à la côte ; que c’était un grand brick de plus de cent cinquante tonneaux ; qu’il avait l’air de gouverner encore un peu, mais que si le vent ne mollissait pas, il serait jeté sur les brisants, bien avant la nuit, sans qu’il fût possible de lui porter secours. — C’est le Saint-Gildas ! m’écriai-je ; c’est Jean, c’est mon mari ! Mon Dieu ! mon Dieu, ayez pitié de nous !

Le matelot, voyant mon état de souffrance, essaya de m’empêcher d’aller plus loin, en m’assurant que ce ne pouvait être le Saint-Gildas. Je ne le croyais pas, j’aurais voulu courir et je n’avançais qu’avec beaucoup de peine sur le sable. Le marin me suivait et