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PILOTE ET GOËLAND


— Vous semblez presque heureux ainsi ? lui dis-je, au moment de le quitter.

— Heureux, me répondit-il, oui, je le suis, au milieu de ma peine. Dieu m’assiste, et l’espoir d’en haut me reste… Et qu’ai-je entrevu de la vie ordinaire ? Un seul jour, jour heureux, suivi d’un triste soir… Si j’avais épousé Jane que j’aimais tant, nous eussions vieilli et souffert ensemble. — Souffrir ensemble, il est vrai, doit avoir de bien douces compensations ; — mais n’eussions-nous pas été exposés à l’envie des autres ? en butte, comme tout être sur la terre, à tant de maux qui traversent la vie ?… J’aurais vu dépérir et pleurer ma compagne ; j’aurais reçu en détail le coup qui m’a frappé dans un seul jour… Ah ! ne croyez pas pour cela que j’eusse refusé la lutte, s’il avait plu à Dieu de me l’imposer. Non, non ! J’y aurais fait face avec son aide miséricordieuse… Je compare seulement deux manières d’accomplir son sacrifice ici-bas. J’ai accepté le mien de la main du Seigneur et je le bénis !


Villa Saint-Guen, 3 novembre 1867.