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PILOTE ET GOËLAND


de son maître, semblait interroger les flots comme lui, attendre comme lui, souffrir autant que lui…

Un jour, de grand matin, Pilote, qui avait veillé toute la nuit à cause d’un grain qui s’annonçait, venait de succomber à la fatigue ; il dormait d’un profond sommeil, lorsque les hurlements de son chien le réveillèrent en sursaut. Quelques moments après, malgré le vent et la pluie, il gravit le promontoire. Une violente bourrasque éclatait au large. Le soleil se levait à peine, et d’épais nuages répandaient une demi-obscurité sur les flots. Goëland, dont les yeux perçaient les ombres, les tenait fixés sur un point éloigné dans la mer. Le marin s’en aperçut, et, après avoir observé dans la même direction, il ne tarda pas à distinguer la mâture désemparée d’un vaisseau sans doute en détresse.

— Mon Dieu ! s’écria-t-il, faites que ce ne soit pas le Saint-Jean !

La violence du vent dissipait par intervalles le brouillard. La coque du navire devint visible : c’était la goëlette du capitaine Alain, chassant avec rapidité vers les brisants de la pointe. Il n’y avait pas de temps à perdre. Le canot de Misaine était amarré dans une crique voisine. Il y vole. Il s’embarquera seul, s’il le faut ; mais à deux on aurait plus de chances d’arriver jusqu’au navire en perdition. Alors un matelot s’avance vers la falaise.

— À moi, camarade ! lui crie le sauveteur ; à nous deux, nous sauverons du moins l’équipage.

— Le vent est affolé, dit l’autre ; on est sûr de périr inutilement.