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FANTÔMES BRETONS


profond de Franz, c’était de savoir que la fille du brigadier, souffreteuse depuis longtemps, s’approchait peut-être déjà du cimetière, tandis qu’il eût été si heureux de lui donner la main pour la conduire dans le chemin fleuri où la vie reprend vite à seize ans.


Un jour que par exception, ou pour tâcher d’avoir quelques nouvelles de la petite boiteuse, la veuve Lestour passait dans le village, non loin de la maison de Christophe, celui-ci, assis sur le seuil de sa porte, le bras encore en écharpe, l’aperçut et s’écria en faisant un geste de colère et de mépris :

— Que viens-tu chercher ici, moitié de pilleur ? Passe au large, ou que le diable m’étrangle…

Il en eût dit bien d’autres dans sa fureur, si Martha, qui survint aussitôt ne l’eût entraîné dans la maison. Surexcitée par cette indigne apostrophe, la veuve le suivit dans la chambre dont la porte était restée ouverte, et là, les bras croisés, la poitrine haletante d’une cruelle et juste indignation, la veuve parut braver l’ancien brigadier dans sa demeure.

— Sors d’ici, damnée voleuse, hurla le furieux en levant pour frapper un bras que Martha retenait à grand’peine.

— Je ne sortirai pas, Christophe, répliqua la veuve outragée, avant de t’avoir dit la vérité que tu ignores, je crois, et qui sera du moins la juste punition de ton injustice… Oh ! tes insultes ne me font pas peur. Écoute-moi : Si je suis la veuve du pilleur, c’est la main que tu as levée sur moi qui fit le coup, je le sais…