Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

192
FANTÔMES BRETONS


dit, mais ils en comprirent assez pour exécuter, à l’aide de leur instinct maritime, les manœuvres indiquées par le Nantais. Tout se passa comme il l’avait prévu. Un remous favorable amena l’embarcation dans l’anse où Corfmat s’était rendu à l’avance, et dès qu’il eut sauté à bord, il se mit au gouvernail et commanda de faire voile.

L’embarcation était montée par trois pêcheurs de Hœdik, le père, le fils, âgé de quatorze ans, et un vieux matelot ; alors, le père, patron de la chaloupe, après avoir (comme disent les marins) mesuré la couleur du temps, jugea qu’il était prudent de rester à terre pour le quart d’heure. Mais un quart d’heure, c’était un siècle pour le fuyard, qui croyait à tout moment voir pointer au-dessus de la falaise blanchâtre la noire silhouette du recteur ; un quart d’heure, c’était pour le bandit la perte ou le salut ! C’est pourquoi, voyant l’hésitation du patron de la chaloupe, Corfmat jura qu’il n’y avait pas de danger. Puis, sans attendre la réponse de ses compagnons, il poussa vigoureusement au large au moyen d’une gaffe qu’il avait saisie par précaution.

La chaloupe était bien construite et solide à la mer ; Corfmat gouvernait avec autant d’adresse que de détermination ; aussi le premier mille se fit-il sans avarie. Mais quand on eut doublé le cap et que l’embarcation se trouva plus exposée aux grandes houles du large qui, poussées par un vent affreux, roulaient, avec une fureur dont la violence augmentait à chaque instant, il devint impossible de méconnaître l’approche d’une