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FANTÔMES BRETONS


À ces mots, le matelot, remis en belle humeur, sortit en chantant une chanson de bord qui commence à peu près ainsi :


« Adieu Lorient, séjour de guigne,
« Nous partirons demain matin,
 « Le verre en main…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


On ne l’entendit bientôt plus. Anna Morel respira plus à l’aise, mais une profonde tristesse la dominait entièrement :

— Veuve, se disait-elle, le misérable m’a appelée veuve… Ô Seigneur Jésus ! S’il disait la vérité !…

Et ses larmes redoublèrent. Puis la petite fille s’étant réveillée, Anna, rendue à son rôle de mère attentive et qui veille sur son dernier trésor, trouva heureusement dans ces soins maternels quelque adoucissement à sa douleur.

Ainsi que nous l’avons dit, Corfmat avait été jadis un des prétendants à la main de la jeune et jolie femme. Corfmat, marin rude, grossier, d’une conduite douteuse, était possesseur de deux chaloupes. C’est une fortune dans les îles. Julien, au contraire, n’était qu’un pauvre matelot au service des autres ; mais il était jeune, d’un caractère doux et serviable, d’une figure ouverte et avenante. Avec de tels avantages, il n’était pas étonnant qu’il l’eût emporté sur Corfmat dans le cœur de la jolie nièce de Catherine. Malheureusement, Julien avait dû plus d’une fois, avant son mariage, solliciter de l’emploi auprès du rude patron ; et de plus, la pauvre Anna s’étant trouvée un moment presque