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passion nouvelle de son compagnon. Tout-à-coup une forte pression, exercée sur sa main par les dents du tigre, lui fit comprendre que les rôles s’intervertissaient et que, décidément, l’animal devenait agresseur. Il dut même user de beaucoup de circonspection pour se dégager des morsures de la bête. Le tigre ne voulait point lâcher la main, et ce n’était que par un dernier reste de déférence qu’il ne la broyait point entre ses dents, se contentant de la serrer fortement entre ses mâchoires, entre les bourrelets des gencives. Puis, à peine le chasseur eut-il enveloppé de linges la partie blessée, que l’animal, frustré de son droit au plaisir, fit entendre un sourd grondement et se retira dans un angle de la chambre, fixant sur son maître un regard de colère en même temps que de convoitise. Ni appels, ni douces paroles, ni geste affectueux ne parvinrent à le séduire. Chaque fois que le chasseur essayait de se rapprocher de lui, le félin montrait, dans un rauque feulement, toutes ses dents et sa large gueule sanglante.

Force fut donc au chasseur de se rendre à l’évidence, surtout quand il vit le monstre s’aplatir sur sol et le superbe corps rayé s’agiter de ce frémissement continu qui précède l’élan. La situation était critique. La chambre, presque nue, n’ayant d’autre meuble qu’un pliant de canne, n’offrait aucun abri. Et, d’ailleurs quel objet eût pu en ces circonstances briser l’essor de la terrible bête ? Il n’y fallait donc pas songer.