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tigre. L’animal atteignit sans encombre sa première année. Il demeura humble, soumis et fidèle. Mais au bout de ce temps les instincts sanguinaires du félin se firent jour à la faveur des circonstances suivantes :

Le chasseur, qui partageait sa chambre avec ce terrible pensionnaire, en recevait les caresses avec la plus entière confiance. Le tigre lui léchait les mains et le visage, se frottait à ses jambes et, en un mot, multipliait les signes extérieurs du plus profond dévoûment. La vue d’un mouton, d’un veau, d’un lapin même, le laissait indifférent et placide. Il ignorait le goût du sang, et son maître avait eu le tort, grave selon moi, de le dresser un peu comme un animal frugivore.

Or, il advint qu’un jour le chasseur, traversant un fourré épais, s’écorcha profondément la main gauche aux épines. La plaie s’envenima, la main enfla et, après avoir d’abord abondamment coulé, le sang refusa de couler de nouveau. Le blessé prit un moyen héroïque. Il débrida violemment la plaie et tendit sa main malade au tigre. L’animal parut, au premier moment, se faire quelques scrupules de lécher cette chair sanguinolente et bleuie. Mais dès que sa rude langue faisant râpe eut déchiré le tissu environnant et, conséquemment agrandi la blessure, dès que la rouge liqueur eut humecté ses lèvres et sa gorge, il se mit à sucer alors avec une sorte de fureur. Le blessé, que cette succion soulageait, ne prit point garde à cette