Page:Du Flot - Les mœurs du tigre, récit de chasse, 1886.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.

connaît à fond, et couche toutes les nuits dans ma chambre. Il se pelotonne sur mon tapis et dort du même sommeil que moi. Au reste, son attachement est sincère ; il me suit pas à pas, vient se faire caresser comme un chat, et me regarde avec des yeux dans lesquels je puis lire tous ses sentiments.

Le vieux monomane ne mentait pas. J’ai vu la bête dans la force de l’âge, et je lui rends le même témoignage que son maître. Il était doux comme un mouton, et faisait bon accueil à tout le monde.

Le colonel est mort en 1866, dans sa propriété de Delhi, et les Indiens sont restés persuadés qu’il est mort du chagrin que lui a causé la perte de baba (l’enfant) — c’était le nom qu’il avait donné à son tigre — qui l’avait précédé de près d’un an dans la tombe.

Voilà donc un tigre absolument privé, qui a vécu vingt-quatre ans dans la domesticité, sans démentir un seul instant ses heureux commencements. Le vieux misanthrope lui avait fait élever une tombe, sur laquelle un Hindou avait sculpté une statue de Dourgâ-Kâli, la déesse de la mort. Il visitait tous les jours cette tombe.

Mais toutes les expériences ne concluent pas dans le sens de la confiance illimitée. Voici un fait qui semble établir le contraire :

Le docteur Tournier, dont j’ai parlé plus haut avait un ami, qui, lui aussi, avait adopté un jeune