Page:Du Flot - Les mœurs du tigre, récit de chasse, 1886.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vue embrassait les champs et les villages environnants. Il eût pu fuir et nous dépister, d’autant plus aisément que nous ne pouvions, sous peine de grands dommages pour les habitants de ces plaines fertiles, engager les éléphants dans les plantations de jute et d’indigo. Il préféra nous faire tête.

Alors, ce fut un superbe et poignant tableau. Pendant un temps inappréciable, le félin, debout, battant ses flancs de sa queue, jetant sa voix rauque par éclats, nous regarda venir sur lui. Puis, au moment où les éléphants se rangèrent en cercle, présentant leurs défenses menaçantes, au-dessous de leurs trompes redressées comme des mâts, le monstre jeta quelques cris aigus et perçants. Il s’enleva d’un bond prodigieux et vint tomber à trente pas de notre ligne, faisant reculer à sa vue la meute des chiens parias et les rabatteurs eux-mêmes. Pris d’une indicible épouvante, mon pauvre Gold-dress se mit à souffler avec force, tout trempé d’une sueur froide et tremblant de tout son corps entre mes genoux. J’avais fait appel à tout mon sang-froid ; mais je ne cacherai pas que j’étais prodigieusement ému. J’avais rapidement armé ma carabine ; mais je dus m’avouer bientôt qu’il me serait impossible d’en faire usage dans de semblables conditions, les mouvements désordonnés du