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en avait pas. Notre ménage va couci, couci. Madame la Roche nous fait mourir de faim : il est impossible d’être moins entendue. Nous ne donnons ni ne donnerons un verre d’eau à personne, à moins qu’il n’y ait meilleure compagnie.

Adieu divertissez-vous bien, je vous le conseille de tout mon cœur. Voyez beaucoup vos amies ; ne craignez point de prendre une habitude que je puisse déranger : le genre de vie que je pourrai bien mener à mon retour détruira peut-être toutes les idées de contrainte que vous vous faites de vivre avec moi. De plus, je vous avoue, je ne suis pas tyrannique par caractère, et je ne sache personne que je voulusse contraindre. Je ne me crois pas plus mauvaise que je le suis, et je vais plus au-devant de ce qui convient à madame de Pecquigny que vous ne pouvez vous l’imaginer. Il y a des cas particuliers où l’on exige, mais vous savez bien quels ils sont. Comme cela vous est insupportable, et que vous me l’avez bien prouvé, je me crois parfaitement corrigée.

Adieu. Dites-vous bien que vous avez la clef des champs, et ne craignez pas que je veuille jamais la reprendre ; comme vous avez toujours un passe-partout, j’en connais toute l’inutilité.

Est-ce que les Harangues[1] ne paraissent point encore ?




LETTRE 13.


LE PRESIDENT HÉNAULT À MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND.


Vendredi, 6 juillet.

Je vous avoue que cela commence à me paraître surnaturel : il y a six jours que vous êtes partie, vous êtes à vingt-huit lieues de moi, et je n’ai point encore entendu parler de vous. J’en suis inquiet, et si je n’ai point de nouvelles aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il faudra faire pour en avoir. Je m’en prends toujours aux postes, qui peuvent n’être pas très-régulières dans une traverse ; car enfin si vous étiez incommodée, ou vous m’auriez écrit un mot, ou mademoiselle d’Évreux s’en serait chargée, ou madame de Pecquigny aurait bien voulu me le faire savoir. L’impatience raisonne toujours mal et ne prévoit pas tout. Cependant j’imagine que la poste ne part pas tous lesjours, que vous serez arrivée le lundi fort tard, que vous aurez écrit le mardi fort tard aussi, que c’est le mardi jour de poste,

  1. Les Harangues au Roi, à l’occasion de la paix. (L.)