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ajoute que nous avons perdu six cents soldats et soixante officiers. J’ai envoyé aux nouvelles ce matin, et je n’ai pu rien apprendre ; je suis inquiète de M. de Lauzun et de deux ou trois personnes ; je plains tous les autres, et cela trouble la joie du succès.

L’élection du Père Ganganelli me fait beaucoup de plaisir. N’est-elle pas de notre façon ? enfin, enfin, tout nous prospère. Mais, portez-vous bien si vous voulez que je sois parfaitement contente. Je veux absolument, à votre retour, trouver vos petits bras bien ronds, vos belles petites joues bien pleines, ne plus entendre votre vilaine petite toux. Je ne suis pas encore au milieu du terme de l’absence. Mon baron[1] ira vous trouver d’aujourd’hui en huit ; jadis il ne devait être admis que par moi, je devais être le prétexte de la préférence que vous lui accorderiez.

Que les temps sont changés depuis cet heureux jour !

Je voudrais faire un vers qui dît que l’abbé m’interdit ce séjour et comme j’ai l’imagination et la verve pétrifiées, je n’en puis venir à bout. Je l’abandonne pour parler de mon petit prince ; il est plus aimable que jamais, aussi calme, aussi tranquille au milieu d’un chaos d’affaires, qu’il l’était en avalant une écuelle de lait et mangeant un fromage à la crème à Chanteloup. Il ne prendra une femme que de votre main ; il veut qu’elle soit votre courtisane. Si ce mot vous choque, lisez esclave ; enfin, il veut qu’elle soit un lien de plus entre vous et lui. Oh ! nous sommes, lui et moi, vrais croyants, et nous ne communiquons qu’avec les gens de notre secte.

Je ne vous dis rien pour le grand-papa, 1° parce que je crois qu’il n’est plus avec vous ; 2° parce que, s’il y est, je le boude. Oh il est trop méprisant, il donne trop dans le bel air ;

  1. Le baron de Gleichen, envoyé extraordinaire du roi de Danemarck.