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LETTRE CXXIX


DE MADAME DU DEFFAND À LA DUCHESSE DE CHOISEUL


Paris, ce jeudi 1er juin 1769,
à 3 heures après midi.

Votre lettre est charmante, chère grand’maman ; je l’ai reçue ce matin à mon réveil avec la brochure de M. Guillemet. Si je n’étais pas pénétrée de reconnaissance, de tendresse et d’amour, je mériterais l’état que j’éprouve, de ne pas voir le jour. Mais je devrais avoir des yeux autant qu’Argus, si vous aimer et vous adorer pouvait préserver des ténèbres et pouvait rendre la lumière. J’en ai beaucoup au sens métaphorique ; oui, je vous vois telle que vous êtes, et mieux que qui que ce soit j’en excepte cependant le grand-papa et mon grand capitaine. Nous sommes vis-à-vis de vous, Élie, Énoch et Moïse ; c’est pour nous que vous êtes toujours transfigurée, c’est-à-dire que vous vous laissez voir à nous dans tout l’éclat de votre divinité.

Pour sentir la justesse de cette comparaison, apprenez, si vous ne le saviez pas, que l’humanité de J. C. était un miracle perpétuel, puisqu’elle cachait sa véritable existence : ceci est un peu sublime, je l’avoue, mais demandez à M. le curé si ce que je dis n’est pas vrai.

Vous avez donc le grand-papa avec vous ! Vous aimez le roi plus que jamais en lisant cet article, j’ai pensé crier vive le roi. Oh ! qu’il m’a fait plaisir ; j’en avais le pressentiment.

Savez-vous ce que je crois ? c’est que le grand-papa pourrait bien n’être plus avec vous quand vous recevrez cette lettre. On débitait hier des nouvelles de Corse qui l’auront peut-être forcé à retourner sur ses pas ; on dit que nous nous sommes emparés de Corté ; que nous avons tué douze cents hommes, fait trois cents prisonniers ; que Paoli a pensé être pris ; on