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notre écriture vous plaît, donnez-nous vos ordres, car j’avons appris que vous auriez aussi de belles lettres à faire transcrire, lesquelles lettres le monde se les arrache pour les lire et les relire. On dit que vous écrivez comme tout cela vous vient, mais que tout cela vous vient à merveille, de façon que vous seriez entendue de votre grand’maman qui a tant d’esprit, de M. le curé qui fait si bien les prônes, et de moi qui n’avons jamais appris que ces trois mots latins : ego te amo, qui signifient je vous aime. Après tout, je n’en avons pas besoin d’avantage, car avec ces trois mots on va partout. Cependant je voudrais avoir un peu d’esprit, car on fête M. Guillemet, parce qu’on croit qu’il en a, et madame la grand’maman fait copier ses lettres. J’avions voulu en avoir de l’esprit dans ma jeunesse, j’avions un oncle qui par son grand génie était devenu sacristain de l’église de Saint-Martin de Tours ; il lisait toute la journée, et il avait appris l’arithmétique de lui-même. Je lui dîmes un jeudi : mon oncle, comment faire pour avoir de l’esprit ? Rien de si aisé, fit-il, il faut bien concubiner ses idées. Depuis ce temps-là j’avons concubiné tout ce que j’avons vu et n’en sommes guère plus avancé. Si vous aviez quelqu’autre recette à me donner vous me feriez grand plaisir, car je commençons à être las de celle-là, vous devez l’être de ce bavardage, c’est pourquoi je finissons.


LETTRE CXXVIII


DE LA DUCHESSE DE CHOISEUL À MADAME DU DEFFAND


À Chanteloup, ce 28 mai 1769.

Votre enthousiasme, que je ne mérite pas, ma chère enfant, ne me rend pas vaine. Je voudrais avoir tout l’esprit, tous les agréments que vous me supposez pour ne plus tromper votre sentiment qui m’accorde toutes les qualités qui lui plaisent, et si je les avais, je vous écrirais tous les jours et toute la journée