Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand, tome 1.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures et demie, il n’y est point encore. Je ne ferai rien, je ne verrai rien, je ne saurai rien, que je ne l’aie vu. Je sais pourtant que je ne pourrai vous donner aucune de mes soirées, je les ai toutes promises à mon pauvre ambassadeur, qui est dans un état où ses amis ne peuvent lui donner trop de soins. Mais je vous verrai, n’en doutez pas, et je me livrerai au plaisir de vous dire combien je vous aime.


LETTRE II


DE LA DUCHESSE DE CHOISEUL À MADAME DU DEFFAND


(Sans date.)

Oui, oui, ma chère enfant, je crois que vous m’aimez, parce que vous êtes une enfant ; il n’y a plus que les enfants qui aiment, parce qu’il n’y a plus que les enfants qui puissent. aimer : la triste expérience dessèche le cœur ; on est vieux quand on a le cœur desséché ; mais le cœur ne se flétrit que pour avoir été trop sensible ; être sensible, c’est être dupe ; mais être enfant, c’est être innocent. L’innocence est de toutes les vertus la plus estimable, parce qu’elle est la plus sûre ; l’enfance est de toutes les qualités la plus aimable et la plus heureuse ; un enfant a toujours le bonheur d’aimer et le plaisir inestimable d’être toujours aimé. Je vous aime donc aussi très-véritablement, et par cette raison même que vous êtes une enfant. Ne croyez pas que je vous insulte par ce titre. Ah ! que je changerais bien ma décrépitude contre votre enfance ! Qu’il est étrange d’être si vieille à mon âge ! qu’il est heureux d’être si jeune au vôtre !

Vous n’avez point été ridicule hier, vous avez été vive, naturelle et enfant ; enfin, vous avez été très-aimable, parce que vous étiez vous-même, et vous avez parfaitement bien réussi.

Je ne vous réponds pas de M. de Choiseul pour lundi, mais je vous réponds de moi, qui n’en vaux pas la peine ; je