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LE CRITIQUE.

faites avec la certitude de trait, la simplicité de ton et l’ampleur de style d’une peinture murale. Ce poème pourrait s’appliquer parmi les autres travaux d’Hercule sur la cella ou le pronaos d’un temple grec. S’il persiste encore quelques années et n’abandonne pas, pour la prose ou toute autre occupation fructueuse, un art que délaisse l’attention publique, Sully Prudhomme nous semble destiné à prendre le premier rang parmi ces poètes de la dernière heure, et son salaire lui sera compté comme s’il s’était mis à l’œuvre dès l’aurore[1]. »

Parvenu presque à la fin de ce Rapport sur les progrès de la poésie française, le lecteur est saisi d’inquiétude ; il se demande si, de parti pris, certaines œuvres parues depuis 1848 vont être passées sous silence, et si l’un des plus grands noms modernes ne sera pas prononcé. L’inquiétude est légitime : nous sommes en 1867 ; l’Empire, il est vrai, s’est déjà modifié par l’usure de ses propres rouages ; à défaut de liberté on a la tolérance ; l’administration est moins brutale, la justice est plus indulgente ; mais Napoléon III est sur le trône ; en ses entours on n’a pas oublié les Châtiments et on se souvient de Napoléon le Petit. Dans le monde officiel on sourit dédaigneusement en parlant de Victor Hugo et l’on dit : Ce n’est qu’un poète de décadence ; dans le monde de « la cour » on baisse les yeux avec pudeur lorsque l’on entend prononcer son nom.

  1. Histoire du romantisme, loc. cit., p. 366, 367.