Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
LE CRITIQUE.

mement lié avec lui et bien souvent je fus témoin du combat que les deux Muses adverses se livraient dans son esprit. C’est l’humaniste le plus fort que j’aie connu ; je ne fais même pas exception de ceux qui apprennent pour enseigner. Les belles-lettres grecques et latines ne lui avaient rien caché de leur grandeur ; il les comprenait avec une intelligence que je n’ai jamais rencontrée à un degré si profond. C’est toujours vers Homère, vers Aristophane, vers Plaute, vers Horace, qu’il était ramené par ses aptitudes, et lorsqu’il se mettait au travail, — poème, poésies détachées, pièces de théâtre, — c’est toujours vers l’imitation d’Hugo qu’il se sentait attiré. Parfois il en est résulté quelque dissonance que la beauté du vers et l’ampleur des images font promptement oublier. Il a fait un chef-d’œuvre, Melænis, qui date de sa vingt-sixième année et qui seul suffirait à glorifier sa mémoire. Malheureusement le poème est écrit « dans cette stance de six vers à rime triplée qu’a employée souvent l’auteur de Namouna, et nous le regrettons, dit Gautier, car cette ressemblance purement métrique a fait supposer chez Bouilhet l’imitation volontaire ou involontaire d’Alfred de Musset, et jamais poètes ne se ressemblèrent moins. La manière de Bouilhet est robuste et imagée, pittoresque, amoureuse de couleur locale ; elle abonde en vers pleins, drus, spacieux, soufflés d’un seul jet. » Louis Bouilhet est mort à l’âge de quarante-sept ans, à l’heure où la maturité de son talent et le repos de son existence le conviaient à des œuvres