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THÉOPHILE GAUTIER.

lucre, méprisant le bien-être, s’imaginant que l’on peut vivre de poésie, déjeunant d’une ode et soupant d’une ballade, dans ce milieu, Théophile Gautier reçut une empreinte ineffaçable. Toute sa vie il resta le compagnon mystique des premiers disciples et l’adorateur de Victor Hugo, révélateur, apôtre et prophète. Les excentricités dont il avait été le témoin et bien souvent le héros, si folles qu’elles étaient, ne lui furent pas inutiles. Il semble qu’elles se soient cristallisées, épurées en lui, pour devenir cette originalité qui est une des qualités primordiales de son talent et qui lui constitue une individualité reconnaissable entre toutes.

Comme il a regretté ces heures du Cénacle dont le souvenir l’a charmé jusqu’au seuil de la vieillesse, qu’il ne devait pas franchir ! Il ne peut en parler sans être ému ; à son attendrissement se mêle une pointe d’orgueil, lorsqu’il rappelle « ces belles misères où l’on se nourrissait de gloire et d’amour » et qu’il s’écrie : « Fit-on jamais meilleure chère ? » Il retrouve, un jour, une lettre qu’en 1857 lui avait adressée Bouchardy, celui que le Cénacle appelait le maharadjah de Lahore ; tout son cœur en est agité, car son ancien compagnon d’idéal lui dit : « Le plus beau de tous les rêves, nous l’avons fait les yeux ouverts et l’esprit plein de foi, d’enthousiasme et d’amour. » À ces paroles, Gautier tressaille, comme un vieux capitaine qui entend sonner le clairon des combats, et il écrit : « Vingt-sept années déjà séparent cette date de 1830. Le