Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LA JEUNESSE.

Jadin, « qui seul valait une compagnie d’archers écossais ». La plupart de ces énergumènes des plaisirs sans frein sont devenus des personnages et ont fait bonne route dans la vie. La turbulence de la vingtième année n’implique rien de défavorable pour l’avenir. L’âge se charge de tout, même trop souvent d’effacer le souvenir des peccadilles d’autrefois. Mme de Lafayette écrivait à Ménage : « Il en coûte cher pour devenir raisonnable, il en coûte la jeunesse. » Théophile Gautier fut jeune ; il fut très jeune et mérite d’en être loué.

« L’habitude de la chasteté endurcit le cœur », a dit saint Clément d’Alexandrie ; Gautier n’avait point le cœur dur et ne manquait pas d’éclectisme. Dans son roman « goguenard » des Jeune-France, écrit alors qu’il avait vingt-deux ans, il a fait un chapitre, Celle-ci et Celle-là, qui pourrait bien être un fragment de confession. « Retiens ceci, dit-il, et serre-le dans un des tiroirs de ton jugement, pour t’en servir à l’occasion : toute femme en vaut une autre, pourvu qu’elle soit aussi jolie. » Cela ressemble à une profession de foi. On en peut conclure que l’amour de la forme dominait en lui et que l’échange des âmes, si fort à la mode dans les romances du temps, ne lui semblait que d’une importance secondaire. D’un grand nombre de lettres qui lui furent adressées et que j’ai feuilletées, il résulte qu’il ressemblait peu à cet abbé Dangeau, de l’Académie française, qui renvoyait aux femmes qu’il aimait leurs épîtres dont l’orthographe était défec-