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LA JEUNESSE.

été de ceux à qui le ridicule échappe. J’étais bien enfant alors, mais je me souviens, passant sur les boulevards, dans le jardin des Tuileries qui était, à cette époque, la promenade favorite des Parisiens, d’avoir aperçu de jeunes hommes à longs cheveux, portant toute leur barbe, — ce qui était contraire aux bons usages — coiffés de chapeaux pointus, serrés dans des redingotes à larges revers, cachant leurs pieds sous des pantalons à l’éléphant ;. je les regardais avec une surprise où se mêlait quelque crainte, je disais : « Quels sont ces gens-là ? » On levait les épaules en me répondant : « Ce sont des fous. » Théo m’a dit souvent : « Notre rêve était de mettre la planète à l’envers. » Elle tourne toujours sur le même axe, la pauvre planète, et, depuis ces jours lointains, elle en a vu bien d’autres !

Pendant les années qui suivirent les journées de Juillet, la vie de la jeunesse fut d’une violence extraordinaire ; elle s’était dilatée tout à coup après la compression qu’elle avait subie pendant la Restauration. Cette effervescence eut quelque durée ; l’invasion subite du choléra en 1832 et l’effarement qui en résulta la calmèrent à peine ; pour la réduire et l’apaiser presque complètement, il fallut l’attentat de Fieschi, l’horreur qu’il inspira et les lois répressives que Thiers fit voter au mois de septembre 1835. Jusque-là on ne sut se ménager ; ce fut le beau temps des cavalcades du mardi gras, des bals des Variétés et des descentes de la Courtille ; on rivalisait d’entrain, d’emportement et, disons-le, de sottise. « Il