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LA JEUNESSE.

indignés poussèrent des cris d’horreur, les romantiques, saisis d’admiration, exaltés par la rareté de l’image, trépignaient de joie et aboyaient de bonheur. Le tumulte fut lent à s’apaiser, et je doute fort que l’on ait pu saisir quelque chose de la fin du troisième acte.

Cette représentation qui, malgré les Odes et Ballades, malgré Cromwell et sa préface, malgré les Orientales, malgré le Dernier jour d’un condamné marque le véritable début de la révolution romantique, laissa dans le cœur de Théophile Gautier un souvenir ineffaçable ; c’était l’épisode de sa vie sur lequel il revenait avec prédilection ; dans son œuvre, les allusions y sont fréquentes. Il aimait à raconter la longue attente — une attente qui dura huit heures — dans le théâtre obscur, l’émotion, la lutte dont les deux camps ennemis s’attribuaient la victoire, les discussions dégénérant parfois en voies de fait qui se prolongeaient après le spectacle, la passion dont on était animé et l’exaspération qui emportait les partis hors de toute mesure ; exaspération qui produisit des effets d’un comique inattendu : une députation d’auteurs classiques, renommés alors, oubliés aujourd’hui, se rendit près du roi et lui demanda d’user de son autorité souveraine pour interdire les représentations d’une telle monstruosité. On aurait cru entendre les objurgations de maître Pancrace, du Mariage forcé : « Tout est renversé aujourd’hui et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout ; et les ma-