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LA JEUNESSE.

par une autre interprète, si elle avait encore l’inconvenance de modifier les expressions qu’elle n’approuvait pas. Bien avant le jour de la première représentation, on sentait un orage d’opposition se former ; des intentions hostiles ne prenaient point la peine de se dissimuler ; on savait, à n’en point douter, que la cabale était décidée à livrer bataille. Des deux côtés, on se préparait à la lutte ; les uns aiguisaient le poignard d’Oreste, les autres fourbissaient leur bonne lame de Tolède ; on invoquait les filles de Jupiter et de Mnémosyne ; on jurait par saint Jacques de Compostelle et même par les corbignoles de madame la Vierge. Tout annonçait que l’affaire serait chaude ; les simples curieux se frottaient les mains et fredonnaient le finale du Comte Ory :

J’entends d’ici le bruit des armes,
Le clairon vient de retentir.

Dans le clan romantique, on n’était pas rassuré : on se méfiait de quelque stratagème et l’on redoutait surtout la défection de la claque, en butte à des manœuvres déloyales et à des promesses qui sonnaient d’une voix métallique. Les adversaires de la jeune école comptaient, à cet égard, sur la force de l’habitude : comment ces braves chevaliers du lustre, formés dès longtemps aux pures doctrines de l’art révéré, accoutumés au ronron du vers tragique, aux césures invariables, aux hémistiches coulés dans un moule uniforme, au casque, au glaive, à la tunique et