Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
THÉOPHILE GAUTIER.

grands poètes ; il ne pouvait, croyait-on, marcher que vers la gloire ; sa route devait passer sous des arcs de triomphe et le conduire à l’immortalité : comment elle le mena dans une des rues les plus sordides de Paris pour y mourir d’une mort sinistre, je l’ai dit ailleurs et je n’ai point à le répéter ici[1]. Ce fut Gérard qui, fortuitement, ouvrit à Théophile Gautier les portes du temple — bien des gens disaient la caverne — où trônait la jeune statue du romantisme.

Le comité de lecture de la Comédie-Française avait reçu un drame en vers de Victor Hugo : Hernani ou l’honneur castillan. La vieille école classique, ferrée sur les trois unités, en avait frémi jusque dans ses moelles. La nuit on avait entendu des voix plaintives sortir des urnes où reposent les cendres de Marmontel et de Campistron. Malgré ces présages funestes, malgré les prédictions des Calchas de la tragédie, la pièce était en répétition ; on en racontait mille extravagances ; on disait : C’est une orgie de vers incohérents, et l’on ajoutait que Mlle Mars — arbitre du goût — était malade de chagrin, qu’elle voulait rendre son rôle, car elle ne pouvait se résoudre à profaner son talent au milieu des énormités que l’auteur lui imposait. La vérité est tout autre : ce fut Victor Hugo qui, justement blessé des prétentions de l’actrice, lui déclara qu’il la remplacerait

  1. Souvenirs littéraires, t. II, chap. xx ; les Illuminés. Paris, Hachette, 2 vol.  in-8o, 1883.