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THÉOPHILE GAUTIER.

Le frémissement mystérieux qui précède les ouragans agitait déjà les jeunes têtes de l’époque ; la tempête romantique n’allait pas tarder à souffler de tous les points de l’horizon ; les arts, assoupis dans une tradition épuisée, dormaient sur la foi d’un passé qui n’avait plus de raison d’être ; on n’allait pas tarder à les réveiller, sans ménagement et même sans urbanité. Un vent de révolte passait sur les ateliers où les derniers disciples de l’école pétrifiée de David n’exerçaient plus qu’une influence dédaignée. Tout en mélangeant le brun de Van Dyck avec la terre de Sienne brûlée, on discutait littérature ; on ne traitait pas encore Racine de « polisson », mais on avait oublié la Chute des feuilles de Millevoye, les Ossianeries de Baour-Lormian et on les remplaçait, à la grande joie des futurs chevaliers de la palette, par la Chasse du Burgrave :

Daigne protéger notre chasse,
Châsse
De monseigneur Saint-Godefroy,
Froid !


ou par le Pas d’armes du roi Jean :

Çà qu’on selle,
Écuyer,
Mon fidèle
Destrier !

Ces vers, on ne les récitait pas ; on les hurlait. Quelques enthousiastes y avaient adapté un air et les chantaient en chœur, ce qui parut un sacrilège. Un évangile nouveau avait été donné au peuple des