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THÉOPHILE GAUTIER.

Toutes les notions acquises se rangeaient, s’étiquetaient dans sa mémoire, comme les livres bien catalogués d’une bibliothèque. Il savait où trouver le renseignement dont il avait besoin, le document précis qu’il voulait vérifier, le mot rare qu’il désirait employer. Il n’avait qu’à se consulter lui-même. Que de fois ses amis, indécis sur un point d’histoire, de linguistique, de géographie, d’anatomie ou d’art, se sont adressés à lui et ont reçu satisfaction immédiate ! On disait alors : Il n’y a qu’à feuilleter Théo.

Je citerai un exemple de sa mémoire : Le jour où furent publiés les deux premiers volumes de la Légende des siècles, je dînais en sa compagnie dans une maison tierce ; nous étions là plusieurs lettrés, tous alliés, de plus ou moins près, à la tribu romantique, admirant Victor Hugo et comptant bien trouver dans la nouvelle œuvre un régal des plus savoureux. Seul d’entre nous, Gautier la connaissait complètement ; il avait reçu les deux tomes le matin même, et les avait lus au courant de la journée. Est-il besoin de dire quel fut le sujet de la conversation ? On ne parla que du talent d’Hugo, qui semblait se transfigurer et ajouter à sa poésie des formes plus belles encore, plus imprévues et plus fortes, comme si, saisissant des faits d’histoire moins réels que légendaires, il avait plané dans des régions féeriques où jamais encore ses ailes ne l’avaient porté. Gautier nous dit : « Il faut passer aux preuves ; je vais vous dire les Lions. « Et, de cette voix blanche, sans inflexion, monocorde pour ainsi dire, les yeux fixes,