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THÉOPHILE GAUTIER.

propre, il sut lire à l’âge de cinq ans. Le premier livre qui brisa pour lui « le sceau mystérieux des bibliothèques » fut Lydie de Gersin, puis il lut Robinson ; il en devint comme fou ; le mot est de lui ; « plus tard, Paul et Virginie me jetèrent dans un enivrement sans pareil, que ne me causèrent, lorsque je fus devenu grand, ni Shakespeare, ni Goethe, ni lord Byron, ni Walter Scott, ni Chateaubriand, ni Lamartine, ni même Victor Hugo, que toute la jeunesse adorait à cette époque. » Après avoir noté en quel âge précoce il se rendit maître de la lecture, il ajoute : « Et depuis ce temps, je puis dire, comme Apelles : Nulla dies sine linea. » Cela est rigoureusement exact : je ne crois pas qu’il ait jamais existé un plus infatigable lecteur que Gautier.

Tout lui était bon pour satisfaire ce goût tyrannique qui semblait parfois dégénérer en manie ; rien ne le rebutait et l’on eût dit que ses yeux myopes pénétraient au fond des phrases pour y découvrir des richesses que seul il savait reconnaître. Je l’ai vu s’acharner jusqu’à la courbature sur le texte sanscrit de Sakountala, s’efforçant de déchiffrer, de deviner la signification des signes d’un langage qu’il ignorait. Il se plaisait aux romans les plus médiocres, comme aux livres des plus hautes conceptions philosophiques, comme aux ouvrages de science pure ; il était dévoré du besoin d’apprendre et disait : « Il n’est si pauvre conception, si détestable galimatias qui n’enseigne quelque chose dont on peut profiter. » Il lisait les dictionnaires, les grammaires,