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LE POÈTE.

à une publication qui, restant inachevée, lui cause une déception de plus. Il a reçu une lettre de ses sœurs et il y répond en ces termes le 17 décembre 1858 : « Tout mon regret est de n’être pas plus riche et de vous donner si peu. Je réponds de vous à nos chers parents morts, et, moi vivant, vous aurez toujours ce que je n’ai pas eu besoin de vous promettre, car vous saviez, sans que j’aie dit un mot, que je le tiendrai jusqu’à mon dernier soupir… Vous savez dans quel dégoût et quel ennui je suis des hommes et des choses ; je ne vis que pour ceux que j’aime, car, personnellement, je n’ai plus aucun agrément sur terre. L’art, les tableaux, le théâtre, les livres ne m’amusent plus ; ce ne sont pour moi que des motifs d’un travail fastidieux, car il est toujours à recommencer. N’ajoutez pas à tous ces chagrins des phrases comme celles qui terminent une de vos lettres, ou je me coucherai parterre et me laisserai mourir le long d’un mur sans bouger.… J’ai été bien triste, le 2 novembre, en pensant à tous ceux qui ne sont plus. Il faisait presque nuit à midi ; le ciel était jaune, la terre couverte de neige, et j’étais si loin de ma patrie, tout seul, dans une chambre d’auberge, essayant d’écrire un feuilleton qui ne venait pas et d’où dépendait, chose amère, la pâtée de bien des bouches petites et grandes. Je m’aiguillonnais, je m’enfonçais l’éperon dans les flancs ; mais mon esprit était comme un cheval abattu, qui aime mieux recevoir des coups et crever dans les brancards que d’essayer de se relever. Je l’ai pourtant fait, ce feuilleton, et il était très