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THÉOPHILE GAUTIER.

la mort lui furent épargnées, il s’endormit et ne se réveilla pas. Peut-être dans le rêve de son sommeil suprême a-t-il murmuré la parole de Feuchtersleben : « Je pars pour une étoile plus lumineuse. »

Je n’ai plus à parler de l’écrivain. De l’homme je ne dirai qu’un mot : il fut bon dans toute l’acception du terme et mit souvent en pratique, au service d’autrui, un de ses axiomes familiers : « Il n’y a que les pauvres qui savent dépenser l’argent. » Hospitalier comme un Arabe de grande tente, il reçut à sa table — à sa fort modeste table — tous les affamés qui venaient s’y asseoir. Pendant une des périodes les plus critiques de sa vie, aux années qui succédèrent immédiatement à la révolution de 1848, il hébergea, dans son appartement de la rue Rougemont, des camarades plus dénués que lui, et jamais l’idée ne lui vint de se soustraire à ces charges bénévoles qui accroissaient les charges obligatoires dont il était accablé. Il ne s’en vantait pas, il ne s’en plaignait pas ; je doute qu’il l’ait jamais raconté, mais, comme témoin, je lui dois de déposer et de dire la vérité.

Pour terminer et indiquer, sans insister, de quelles préoccupations sa vie fut troublée, j’emprunterai à l’ouvrage de M. Spoelberch de Lovenjoul[1] une lettre que l’on doit citer sans commentaire, car elle s’explique d’elle-même et projette quelque lumière sur les difficultés dont le poète fut sans cesse assailli. Il est à Pétersbourg, où il a été appelé pour collaborer

  1. Loc. cit. introduction, xi.