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THÉOPHILE GAUTIER.

du Postillon de Lonjumeau. » Lorsque Théophile Gautier émettait des vérités aussi palpables, on souriait avec condescendance et on l’accusait de faire des paradoxes. Il en a fait beaucoup de semblables, car la matière lui était abondamment fournie. Le plus souvent, il levait les épaules, rêvassait à quelque poésie satirique, disait : à quoi bon ? et n’y pensait plus.

Comme la plupart des rêveurs, il avait quelque tendance à admirer les hommes d’action, et cependant toute violence lui répugnait ; la guerre lui faisait horreur et les révolutions le désespéraient. Son idéal n’était point de ce monde ; il eût voulu un état de civilisation où l’on eût honoré l’intelligence, la beauté, les arts, où tout l’effort eût porté vers l’agrandissement de l’esprit : quelque chose comme une abbaye de Thélème, sur le bord des golfes paisibles, à l’abri des bois de citronniers, en vue du Parthénon. Il était ainsi fait et n’y pouvait rien ; c’est pourquoi il s’est senti opprimé et a souffert ; la révolte eût été inutile et la lutte ridicule ; il le savait et fut un résigné.

Un résigné, c’est le vrai mot ; dans sa vie contradictoire à ses aspirations, il a tout supporté avec une sorte de fatalisme musulman. Par son métier de feuilletoniste dramatique, il a été parfois subordonné à des hommes dont l’intelligence et la probité douteuses justifiaient le mépris qu’il avait pour eux ; il les subissait en disant : « Il paraît que cela doit être, puisque cela est. C’est la juste punition de