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THÉOPHILE GAUTIER.

comme une loi nouvelle, précisément les défectuosités qu’on leur reproche. L’histoire du renard qui a la queue coupée est de tous les temps et de toutes les coteries. De son essence, l’art est infini et universel ; vouloir l’astreindre à des règles immuables, le cantonner dans des limites fixes, c’est le confondre avec le métier ; c’est prouver qu’on ne le comprend pas, car privé d’initiative il n’est plus.

Gautier professait un tel culte pour l’art, qu’il le préférait à la nature. Dans celle-ci il ne voyait guère qu’un document, plus ou moins correct, que l’artiste interprète, modifie selon ses aptitudes, sa vision et son génie ; celui qui la copie servilement peut être un artisan doué d’un sérieux talent d’imitation, mais il ne sera qu’un artisan, jamais un artiste. Aussi, tout ce qui se rapprochait de ce que l’on a nommé le réalisme, le naturalisme, lui déplaisait. Pour lui, une œuvre ne devenait complète que si l’homme y mettait son empreinte : j’entends celle que donnent les maîtres et qui reste immortelle. Aux plus belles montagnes il préfère le Parthénon ; les paysages qu’il a le plus admirés sont ceux de Claude le Lorrain, et la femme lui semblait inférieure à la statue. Tout jeune il a pensé ainsi ; ce que l’on appelle « l’âge des passions » a laissé intactes ses opinions d’artiste. Il a dix-huit ans lorsqu’il entre à l’atelier de Rioult : « Le premier modèle de femme ne me parut pas beau, dit-il, et me désappointa singulièrement, tant l’art ajoute à la nature la plus parfaite. C’était cependant une très jolie fille, dont j’appréciai plus tard,