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LE POÈTE.

qui ont fait bande à part. Leur originalité a été fortifiée par le mouvement auquel ils se sont associés, mais cette originalité existait d’elle-même et tôt ou tard elle se serait révélée. Les hommes nés pour être capitaines ne restent pas longtemps confondus dans le rang des soldats. J’ai déjà cité Théophile Gautier et Alfred de Musset, qui eurent à peine le temps d’être des disciples qu’ils étaient déjà des maîtres.

Si Gautier ne croyait pas aux écoles, à plus forte raison ne croyait-il pas aux théories en art. Toute production d’une œuvre d’art — roman ou tableau, symphonie ou statue — est le résultat d’une gestation. Lorsque l’enfant est à terme, il vient au monde : viable ou non ? — personne ne le sait ; c’est l’avenir qui en décidera. C’est pourquoi, dans le monde des artistes, les déceptions sont si fréquentes, car nul ne sait, ne peut savoir, en vertu de quelles règles il faut produire. Aussi toutes les théories sont vaines ; le plus souvent, les disciples ne réussissent qu’en faisant le contraire de ce qu’on leur a enseigné, et en brisant le cercle où les leçons reçues les avaient enfermés : David a été l’élève de Vien, et Delacroix celui de Guérin. Non seulement les théories sont vaines, mais elles ne sont jamais que rétrospectives ; elles viennent toujours a posteriori, beaucoup plus pour justifier des défauts que pour préconiser des qualités. La plupart sont le produit de vanités blessées qui, étonnées sinon indignées d’être discutées, regimbent et veulent imposer,