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THÉOPHILE GAUTIER.

En vérité, la forme est pour bien peu de chose dans ces trois chefs-d’œuvre ; les auteurs ne s’en sont guère préoccupés et le lecteur ne s’en préoccupe pas. L’émotion n’en est pas moins d’une intensité qui va jusqu’à l’angoisse. Léon Gozlan le constatait avec surprise et disait : « Si nous écrivions comme ces gens-là, on nous jetterait des pierres. » J’imagine cependant que l’auteur des Nuits du Père-Lachaise n’eût point été trop humilié d’avoir fait Paul et Virginie, voire même la Chaumière indienne. Si la perfection de la forme ouvre seule la porte de la postérité aux œuvres d’imagination, d’où vient le succès persistant que la traduction de certaines œuvres étrangères a obtenu en France ? Il ne faut point se payer de vaines paroles qui, toutes séduisantes qu’elles soient, ne sont que l’expression d’un paradoxe éclos dans la cervelle d’un homme de talent, en un jour de mauvaise humeur ou de gaieté. L’idée naît si peu de la forme, que sans l’idée la forme ne pourrait exister.

Si les auteurs de la Princesse de Clèves, de Manon, de Paul et Virginie ont trouvé, pour ces trois nouvelles, le style qui ne vieillit pas, c’est précisément parce qu’ils n’ont point cherché le style et qu’ils se sont contentés de traduire, le plus honnêtement possible, leurs pensées et leurs impressions. La simplicité de la forme est égale à la simplicité de la conception, entre elles nul désaccord ; elles sont vraiment faites l’une pour l’autre et il en résulte une merveilleuse harmonie. Ernest Renan, à qui