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LE POÈTE.

sa raison ne l’a jamais franchi. Sous les formes les plus admirables de la littérature française, on trouvera toujours le fait ou la pensée dont elle n’est que l’enveloppe : l’une fait valoir l’autre, ceci n’est pas douteux ; mais la seconde peut, jusqu’à un certain point, se passer de la première et faire son chemin dans le monde.

Est-ce vraiment la forme qui constitue la beauté du sonnet d’Arvers ? Pour « se mettre en train », Stendhal lisait un ou deux chapitres du code civil : on le reconnaît à son style ; cela ne l’empêche pas d’avoir fait la Chartreuse de Parme. En laissant de côté le xixe siècle, afin de ne blesser aucune susceptibilité, on conviendra que bien des romans ont été publiés en France avant la première heure de l’an 1801 ; on les peut compter par milliers et par milliers de volumes. Beaucoup ont soulevé l’enthousiasme et ont exercé de l’influence sur les mœurs de leur époque ; combien en reste-t-il ? Et j’entends par romans les œuvres d’imagination pure, dégagées de toute préoccupation de propagande philosophique. En faisant abstraction de Gil Blas, œuvre initiale et féconde d’où doit sortir le roman de mœurs, il en reste trois qui ne se sont souciés ni de la mode, ni de la vogue, qui ont résisté au temps, qui ont fait battre tous les cœurs, charmé tous les esprits et qui à cette heure n’ont encore rien perdu de leur jeunesse : c’est la Princesse de Clèves, Manon Lescaut, Paul et Virginie. Est-ce bien trois romans qu’il faut dire ? n’est-ce pas plutôt trois récits ?