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THÉOPHILE GAUTIER.

taisie même n’ont jamais déconcerté, et il était incapable — que l’on me pardonne le mot — de prendre des vessies pour des lanternes.

On aurait promulgué, en sa présence, cet aphorisme : « De la forme naît l’idée », et tout de suite il l’eût adopté sans réserve, comme s’il eût trouvé la solution du problème longtemps cherché ou l’expression d’une de ces vérités éclatantes que nulle âme honnête ne peut repousser. Je crois qu’à cet égard on s’est fait illusion. Les convictions de Gautier en matière d’art étaient si fortes, qu’il ne lui était pas difficile de rester indifférent aux opinions d’autrui. Souvent même il semblait les approuver, afin d’éviter la discussion qu’il n’aimait pas, car il savait combien elle est stérile et parfois déloyale. Certes Gautier soignait sa forme et lui attribuait une grande importance — toute son œuvre le démontre —, mais il savait qu’elle n’est que l’agent de transmission de l’idée. Son opinion ne dépassait pas la théorie saint-simonienne qui fait de l’une l’égale de l’autre. Que, dans des causeries intimes, entre compagnons de lettres, il se soit laissé aller à des boutades qui lui étaient familières, cela n’a rien de surprenant ; mais, s’il eût soupçonné qu’elles seraient recueillies et publiées plus tard, il les eût gardées pour lui et s’en serait diverti dans le huis clos de sa cervelle. Jamais la forme n’est assez soignée ; il le croyait et faisait bien ; il le répétait à qui voulait l’entendre ; mais entre cela et dire que c’est la forme qui est la mère, la génératrice des idées, il y a un abîme, et cet abîme,