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THÉOPHILE GAUTIER.

reviennent et semblent se relever de leur tombe dans l’attitude dont le cœur a conservé l’image : celle dont la beauté éclate comme une grenade en été, celle qui est une fleur de pastel, une ombre en habit de bal, celle qui ressemble à la Vénus méchante présidant aux amours haineux, et à laquelle on peut dire :

Ô toi qui fus ma joie amère,
Adieu pour toujours… et pardon !

Les anciens compagnons du Cénacle se dressent à leur tour et sonnent la fanfare des jeunes années ; le poète se revoit lui-même, à peine se reconnaît-il ; c’est bien lui cependant, le portrait ne laisse aucun doute :

Dans son pourpoint de satin rose,
Qu’un goût hardi coloria,
Il semble chercher une pose
Pour Boulanger ou Devéria.

Terreur du bourgeois glabre et chauve,
Une chevelure à tous crins
De roi franc ou de lion fauve
Roule en torrent jusqu’à ses reins.

Il s’attarde auprès de ses souvenirs, avec eux il revit l’âge qu’il regrette, le passé le pénètre d’un charme auquel il voudrait s’abandonner ; mais le présent, toujours exigeant, toujours inopportun, frappe à sa porte, l’arrache à son rêve « et lui dit en vain d’oublier ». D’une tristesse attendrie, profondément humaine, sans gémissement ni récrimination, cette pièce me paraît une des plus belles d’Émaux et Camées.