Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
LE POÈTE.


Jusqu’à lundi je suis mon maître.
Au diable, chefs-d’œuvre mort-nés !
Pour huit jours je puis me permettre
De vous fermer la porte au nez.

Les ficelles des mélodrames
N’ont plus le droit de se glisser
Parmi les fils soyeux des trames
Que mon caprice aime à tisser.

Voix de l’âme et de la nature,
J’écouterai vos purs sanglots,
Sans que les couplets de facture
M’étourdissent de leurs grelots.

Et portant, dans mon verre à côtes,
La santé du temps disparu,
Avec mes vieux rêves pour hôtes,
Je boirai le vin de mon cru ;

Le vin de ma propre pensée,
Vierge de toute autre liqueur,
Et que, par la vie écrasée,
Répand la grappe de mon cœur.

Cette petite pièce toute personnelle, à la fois si délurée et si triste, semble être un avis au lecteur, car elle est immédiatement suivie de celle que le poète a faite pendant ses vacances de feuilletoniste : le Château du Souvenir. Il est seul, au coin de l’âtre, par un temps brumeux : les fantômes de son enfance et de sa jeunesse viennent lui tenir compagnie ; ils peuplent sa solitude, et leurs voix indécises parlent des choses d’autrefois, des bonnes choses du temps passé que l’on croit oubliées, qui ne sont qu’endormies et qui se réveillent aux heures de la mélancolie ; les premières demeures estompent leur silhouette à l’horizon voilé, les premières maîtresses