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THÉOPHILE GAUTIER.

être que pour pouvoir aimer. Don Juan, tel que je le conçois, ne se soucie guère d’être aimé ; il voudrait aimer et ne le peut, ce qui le fait fils de Satan.

Napoléon, « ce prince souverain patron des actes hasardeux », comme eût dit Montaigne, apparaît à son tour ; la gloire, l’ambition, le fracas des batailles, la fanfare des triomphes, qu’est-ce que cela ? Au lieu d’être un conquérant, dont le nom a rempli le monde et sonnera en toute postérité, ne vaut-il pas mieux être un chevrier et jouer de la flûte à sept trous pour plaire à Galatée. Donc aucun de ces trépassés choisis parmi les plus retentissants, parmi les plus enviés, n’a été content de son sort. C’est en cela qu’ils ressemblent aux vivants. Dans cet interrogatoire le poète n’a rien appris ; eût-il questionné le Çakya-Mouni, Mahomet et Moïse, il n’en saurait davantage. Courte ou longue, malheureuse ou prospère, la vie reste un problème indéchiffrable ; c’est pourquoi toute hypothèse est permise pour la prolonger ou la ranimer au delà des limites terrestres, car par elle-même, isolée des suites que lui attribuent les conceptions humaines, elle est incompréhensible.

La Comédie de la mort paraît être l’adieu de Gautier au romantisme ; l’influence en est encore très sensible, aussi bien dans la pensée qui a inspiré les vers que dans la forme dont ils sont revêtus, plus tard il s’en dégage ; son originalité apparaît dépouillée de toute réminiscence et enfin libre. Les vers placés à la suite de ce poème funèbre sont exempts du désespoir romantique dont l’expression est si