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LE POÈTE.

Borgia » ; elle possédait également une coutellerie gentiment assortie qui permettait de tuer à coup sûr. On se plaisait à ces brutalités, et cinq cercueils escortés de moines en cagoule n’étaient point pour mécontenter les spectateurs. Si le romantisme a commis quelques excès, il faut reconnaître qu’il avait le public pour complice. Au théâtre on ne devait rien cacher ; dans les poèmes, dans les romans on devait tout dire, en tenant cependant un certain compte de la pudibonderie bourgeoise et en ne heurtant pas de front les préjugés de la police correctionnelle. Les nuages dont Homère enveloppe Jupiter et Junon sur le mont Ida n’étaient plus de mise dans le ciel romantique qui voulait se dévoiler tout entier ; là où le bon Marmontel eût dit, comme dans les Incas : « Ses yeux parcourent mille charmes «, on détaillait les charmes scrupuleusement, par amour de l’art. C’était la loi. Théophile Gautier n’essaya point de l’éluder. Au moment où Albertus va entamer avec Véronique un de ces entretiens particuliers qui gagnent à rester secrets, le poète prend la parole et dit :

C’est ici que s’arrête en son style pudique.
Tout rouge d’embarras, le narrateur classique….
…Moi qui ne suis pas prude et qui n’ai pas de gaze,
Ni de feuille de vigne à coller à ma phrase,
Je ne passerai rien.


En effet il ne passe rien et « les rires frénétiques » se mêlent dans de justes proportions à « des rires extatiques », entrecoupés de quelques mots italiens. La pas-