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THÉOPHILE GAUTIER.

Que de fois on répétera cette phrase qui deviendra aussi banale que l’aurore aux doigts de rose ; elle restera dans le glossaire romantique, et si Gautier la fait vibrer dans une de ses strophes, il me paraît excusable, car il n’est pas encore majeur. On dirait qu’il a fourni le thème que tant d’autres doivent reprendre. Le maître lui-même, dans le rayonnement de sa gloire, n’a pas dédaigné en 1838 de faire parler Ruy Blas comme Albertus parlait en 1832 :

Oh ! mon âme au démon, je la vendrais…
Oui, je me damnerais !…

C’est à cause de son exagération même que cette pensée a été si souvent reproduite ; elle n’est sans doute devenue un lieu commun que parce qu’elle a été admirée quand elle a été exprimée pour la première fois.

Le romantisme avait révolutionné l’art théâtral, d’abord en particularisant les faits au lieu de les généraliser, mais surtout en remplaçant les récits de la tragédie par l’action du drame. Au lieu de raconter la mort d’Hippolyte et le trépas de Phèdre, on les eût mis en scène. Que l’on se souvienne des drames de Victor Hugo, prose ou vers, pas un qui n’ait son meurtre comme ceux de Shakespeare. La nouvelle école avait à sa disposition une pharmacie spéciale pleine de poisons, « qui, mêlés au vin, changent du vin de Romorantin en vin de Syracuse », et de contrepoisons « que personne ne connaît, personne, excepté le pape, M. de Valentinois et Lucrèce